~ C'eSt L'HisToIrE d'Un PiaNistE
C’est
l’histoire d’un pianiste. Il vit au septième étage d’un immeuble de gris froid,
secoué par le vent et tâché par la pluie. Un froid à faire geler un fantôme et
grelotter un iceberg. Les fenêtres elles-mêmes semblent frémir de pâleur. On
dirait des bouches béantes qui hurlent à l’agonie. Il n’y a que les rideaux, se
balançant aux barreaux au rythme du blizzard, qui semblent encore nous faire
signe de vie. Ce pianiste, il n’est pas très vieux. Il n’est pas vraiment jeune
non plus. Il est comme vous et moi, quoi qu’un peu plus anonyme. Un visage
comme les autres, bien qu’un peu plus banal, qui passe inaperçu dans les foules
et que l’on ne distinguerai même pas dans la pénombre à quelques mètres de soi.
Pas comme ceux qui s’accroche discrètement à votre ombre et semblent vous
suivre à travers les ruelles d’une ville inconnue, que vous devinez sur vos pas
et ne vous lâche discrètement plus avant de s’être emparé de leur dû. Non,
celui-ci n’a pas d’odeur. Il n’a pas de visage. Seulement quelques traits, un peu
classiques eux aussi. Les pommettes légèrement saillantes, les cernes à peine
marquées par la fatigue, les joues invisiblement creuses et le front faussement
large, et encore, faut-il le remarquer.
Ce
musicien là, dans son costume de croque pas encore mort, il traduit aux
fantômes les émotions qu’il n’arrive pas à transmettre aux vivants. Vous
comprenez, avec un visage aussi effacé, pas facile de se faire remarquer, et
encore moins de se faire comprendre. Et à quoi bon s’efforcer d’en étirer les
muscles si c’est pour faire ressortir sur un visage gommé des expressions aux
tons blancs. Ce musicien là, dans son costume de croque pas encore mort, il
traduit aux fantômes les émotions qu’il n’arrive pas à transmettre aux vivants.
Ce n’est pas seulement sa passion, ni son passe-temps, c’est tout simplement
son existence. Au fil des heures, des minutes, cousues seconde après seconde,
le pianiste tricote des mélodies de laine noire et blanche pour réchauffer son
cœur endolori par le froid d’une vie sans rencontre.
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